De Tavernier à Obama : sortir des brumes de la mémoire

Publié le par MiJak



Le dernier film de Tavernier, tourné en Louisiane, commence par un long travelling sur les bayous couverts de brume, au son de la voix off de l'enquêteur : "Dans les temps anciens, les gens mettaient des pierres sur la tête des mourants..."
Il met en scène un flic ancien alcoolique à l'âme couverte de bleus, Dave Robicheaux, magnifiquement interprété par Tommy Lee Jones. Tandis qu'il essaie d'élucider de sordides meurtres de prostituées, il va voir resurgir des fantômes de son propre passé, mêlé au passé esclavagiste de la Louisiane et au souvenir de la guerre de Sécession.
J'ai beaucoup aimé ce film dont l'intrigue progresse avec lenteur dans une atmosphère crépusculaire...J'ai surtout aimé la façon dont il articule passé et présent, autour de la question de la mémoire. Dans une Louisiane présentement dévastée par l'ouragan Katrina, les souvenirs sordides et douloureux de l'esclavage imprègne toujours le présent, même si "l'inavouable" a de la peine à sortir des brumes...

Ayant lu quelques jours plus tôt le texte du discours d'Obama à Philadelphie en 2008 : "De la race en Amérique", le film de Tavernier m'a incité à le relire et à souligner quelques passages :
"Pour comprendre cette réalité, il est nécessaire de se rappeler commment nous en sommes arrivés là. Comme l'a écrit William Faulkner :" Le passé n'est pas mort et enterré. En fait, il n'est même pas passé." Nous n'avons nul besoin de raconter l'histoire de l'injustice raciale dans ce pays. Nous devons simplement nous rappeler que si tant de disparités existent dans la communauté afro-américaine d'aujourd'hui, c'est qu'elles proviennent en droite ligne d'inégalités transmises par une génération antérieure, qui a elle-même souffert de l'esclavage brutal et de Jim Crow.../... tout cela a contribué à créer un cycle de violence, un gâchis et des négligences qui continuent à nous hanter."  ("De la race en Amérique", Grasset, 2008, p. 39-41)

[Jim Crow : personnage de Guignol noir interprété dès les années 1820 par des acteurs de théatre de rue qui se noircissaient le visage pour se moquer des "nègres ignorants et superstitieux mais doués pour le chant". Jim Crow est devenu le nom générique de toutes les lois ségrégationnistes adoptées jusque dans les années 50.]

Et plus loin :
"Mais j'ai affirmé ma conviction profonde - une conviction ancrée dans ma foi en Dieu et dans le peuple américain : en travaillant ensemble, nous arriverons à panser quelques-unes de nos vieilles blessures raciales, car en réalité nous n'avons pas d'autre choix si nous voulons avancer en direction d'une Union plus parfaite..."  (p.46-47)
Et après avoir décrit ce que cela exige tant de la communauté afro-américaine que de la communauté blanche, il poursuit : "Les Américains doivent comprendre que les rêves de l'un ne doivent pas se réaliser au détriment des rêves de l'autre, qu'investir dans la santé, les programmes sociaux et l'éducation des enfants noirs, métis et blancs contribuera à la prospérité de l'Amérique tout entière." (p.49)

A propos, est-ce parce que ce rapport à la mémoire et au passé fait toujours problème qu'aux Etats-Unis on a imposé à Tavernier une autre version de son film ? Voir à ce sujet  le dossier dans le Monde du 11 avril.

Chez nous ici en France, comme le montre les débats sur la mémoire  de l'esclavage et du colonialisme, ou les évènements récents aux Antilles, les blessures du passé ne sont pas encore totalement refermées, Mais le seront-elles un jour ? Mais si les fantômes du passé continuent à nous hanter, cela ne signifie pas que l'on ne puisse ensemble arriver à apaiser nos mémoires. "Yes, we can" dirait Obama...

Il y a des années, Karim Kacel chantait :
"Et laissez jouer les guitares, essayons d'apaiser nos mémoires.
 Et nous sortirons du brouillard, car il n'est jamais, jamais trop tard !"

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