"si ce que tu as à dire n'est pas plus beau que le silence, tais toi. " (proverbe chinois)

Publié le par MiJak

... Voilà plus de deux mois: j'ai gardé le silence !
Tandis que le monde allait son train, les pages de mon journal de voyage sont restées vierges... Et pourtant, au fil des jours, que de choses vues et entendues, que d'évènements imprévus et de rencontres partagées, que de souvenirs engrangés, de paroles échangées, de pages lues et même dévorées !
Il y a des moments où la vie s'accélère, on est alors embarqués comme dans un rêve. Plus le temps de penser et donc d'écrire. Comme le dit Jean-Baptiste Pontalis "Tout est question de vitesse", car "le rêve pense mais il pense à toute vitesse, il va trop vite au regard de ce qu'exige la pensée vigile." Or "l'exercice de la pensée vigile est lent; il faut du temps à la pensée pour avancer, pour se développer, pour atteindre ce qu'elle vise. La pensée du rêve fait fi du temps." (En marge des jours, Gallimard, p. 85).
La poésie ne serait-elle pas "une pensée rêvante" ?

 Me revient ce fabuleux inventaire tenté par Saint-John Perse, dans Anabase, ce poème dont Patrick Chamoiseau, dans "Méditation à St John Perse" disait qu'il est "un voyage vers le divers du monde" :

Extraits :

"Fais choix d'un grand chapeau dont on séduit le bord. L'oeil recule d'un siècle aux provinces de l'âme. Par la porte de craie vive, on voit les choses de la plaine : choses vivantes, ô choses
          excellentes !


           des sacrifices de poulains sur les tombes d'enfants, des purifications de veuves dans les roses et des rassemblements d'oiseaux verts dans les cours en l'honneur des vieillards;

           beaucoup de choses sur la terre à entendre et à voir, choses vivantes parmi nous !

           des célébrations de fêtes en plein air pour les anniversaires des grands arbres et des cérémonies publiques en l'honneur d'une mare; des dédicaces de pierres noires parfaitement rondes, des inventions de sources en lieux morts...

.../...


            bien d'autres choses encore à hauteur de nos tempes : les pansements de bêtes aux faubourgs, les mouvements de foule au-devant des tondeurs, des puisatiers et des hongreurs; les spéculations au souffle des moissons et la ventilation d'herbages, à bout de fourches sur les toits; les construction d'enceintes de terre cuite  et de rose, de sécheries de viandes en terrasses, de galeries pour les prêtres, de capitaineries; les cours immenses du vétérinaire;.../... et la fumée des hommes en tous lieux...

            ha ! toutes sortes d'hommes dans leurs voies et façons : mangeurs d'insectes, de fruits d'eau; porteurs d'emplâtres, de richesses ! l'agriculteur et l'adalingue, l'acuponcteur et le saunier ; le péager, le forgeron; marchands de sucre, de cannelle, de coupes à boire en métal blanc et de lampes de cornes....

.../...

             Ô généalogiste sur la place ! combien d'histoires de familles et de filiations ? - et que le mort saisisse le vif, comme il est dit aux tables du légiste,si je n'ai vu toute chose dans son ombre et le mérite de son âge : les entrepôts de livres et d'annales, les magasins de l'astronome et la beauté d'un lieu de sépultures, de trés vieux temples sous les palmes, habités d'une mule et de trois poules blanches - et par-delà le cirque de mon oeil, beaucoup d'actions secrètes en chemin : les campements levés sur des nouvelles qui m'échappent, les effronteries de peuples aux collines et les passages de rivières sur des outres; les cavaliers porteurs de lettres d'alliance, l'embuscade dans les vignes;...

.../...

              mais par-dessus les actions des hommes sur la terre, beaucoup de signes en voyage, beaucoup de graines en voyage, et sous l'azyme du beau temps, dans un grand souffle de la terre, toute la plume des moissons !...
              jusqu'à l'heure du soir où l'étoile femelle, chose pure et gagée dans les hauteurs du ciel...

              Terre arable du songe ! Qui parle de bâtir ?  - J'ai vu la terre distribuée en de vastes espaces et ma pensée n'est point distraite du navigateur." 

(dans :Eloges suivi de La gloire des Rois, Anabase, Exil, Gallimard/Poésie, pp.132-136)




"Vents", un autre poème de Saint-John Perse

 

 
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