Festival de l'imaginaire : un face-à-face avec le Divers

Publié le par MiJak

« Ne nous flattons pas d’assimiler les moeurs, les races, les nations, les autres ; mais au contraire réjouissons-nous de ne le pouvoir jamais ; nous réservant ainsi la perdurabilité du plaisir de sentir le Divers » (Victor Segalen)

 

Vendredi et samedi dernier, les deux soirées passées à l'Amphi de l'Opéra de Lyon nous ont permis de découvrir deux groupes d'artistes programmés dans le cadre du "Festival de l'Imaginaire" 2011 et nous ont donné ainsi l'occasion de communier à ce grand moment d'exploration du Divers qu'est cet évènement organisé par la Maison des Cultures du monde.

Communier est le mot qui s'impose dans la mesure où les artistes en question offraient chacun à leur façon une véritable célébration de l'Amour.

 

Vendredi, c'était une invitation au voyage dans la péninsule arabique, au Yémen, avec les chants soufis de la Confrérie d'Ibn 'Alwana. Cette troupe de chantres de Taez, dirigée par ‘Arif al-Adîmi, est l'héritière d'une longue tradition soufie qui remonte au poète et mystique Ahmed Ibn 'Alwan (disparu autour de 1260). Ce grand spirituel fut un contemporain et un disciple d’Ibn Arabi (m. en 1240) celui qui fut surnommé le "Cheikh el Akbar", le "plus grand Maitre" de l'islam ésotérique.

 

 

 

Précisément, à l'issue du concert, nous avons pu avoir un bref échange avec les membres du groupe, par le truchement de Mme Arwad Esber, directrice de la MCM. Echange au cours duquel 'Arif al-Adimi expliquait qu'à la source de l'ensemble des différentes traditions spirituelles du monde (théistes ou non) il y a cette religion première, fondamentale, qui irrigue toutes les autres et qu'Ibn'Arabi nommait la "religion de l'Amour". Pour les mystiques yéménites, le soufisme est une aspiration à « s’élever au delà des limites de la matière ». Aussi le chant est-il pour eux « le guide des âmes vers la posture de bienfaisance » (ilâ maqâm al-‘ihsân), dans une optique d’éveil intérieur, où chacun est responsable de ses actes dans cette vie ici-bas. Certains poèmes se situent aux frontières du sacré et du profane, le discours de l’amour fou peut être interprété aussi bien d’une manière terrestre que d’une manière mystique, où se donne à entendre le chant du désir de l'amant séduit par la beauté de l'être aimé :

 

Je n’ai d’yeux que pour Votre beauté,
Personne d’autre que Vous ne me vient à l’esprit
J’ai fait patienter mon coeur, qui Vous réclamait, il m’a répondu
Je n’ai plus de patience, je n’y tiens plus.

 

Samedi soir, nous partions pour la Mauritanie en compagnie de Coumbane mint Ely Warakane, griotte – et diva – mauritanienne. Un concert où l'artiste, avec ses musiciens et ses choristes-danseuses, célébrait l’amour avec un déploiement de grâce et de séduction.

 

 

Coumbane appartient à une famille de griots de la région du Trarza. Toute jeune, elle est initiée au chant et à l’ardin (harpe maure des griottes) par Wana mint Boubane; puis Saymali ould Hamoud Fall l’initiera au style raffiné du Tagant. Après une première prestation au Festival d’Agadir en 1986 aux côtés de Dimi mint Abba, elle va se produire régulièrement avec Wana mint Boubane et Mahjouba mint El Meidah ainsi que dans le groupe de Saymali.

À la fin des années 1990 Coumbane forme son propre groupe avec le tidiniste (joueur de tidinit, luth soudanais) Cheikh ould Abba. Depuis, elle enchaîne les mariages et les concerts privés ou publics, en Mauritanie mais aussi au Maroc où vit une importante communauté maure. Le chant de Coumbane allie avec aisance la puissance de la voix du Trarza, sa région d’origine, à la finesse et au délié du Tagant et ses vocalises sont proprement saisissantes. Ajoutons à cela une rare maîtrise du jeu de harpe, une grande complicité instrumentale avec Cheikh ould Abba, son tidiniste , et une présence scénique envoûtante.

Le concert est structuré pour passer en revue les cinq modes musicaux de la musique des griots, avec à chaque fois des sous-modes. Ce qui donne un parcours sonore subtilement coloré et étonnamment divers, où se succèdent morceaux instrumentaux, chants rythmés, danses; sans oublier une palette de formes et de genres, allant du panégyrique à la joute poétique, en passant par le chant d'amour,et d'autres chants dont l'humour n'est pas absent, bien au contraire :

 

" A Quinz, il y a un campement. Je m'y rends chaque nuit. Il y a là une jeune fille qui va me faire mourir d'amour. Elle est insolente. Elle me dit : "Eh le vieux ! Cherche-toi désormais une vieille pour la nuit. Tu ne cesses de me poursuivre. Pourtant, tu sais bien que tu ne redeviendras jamais jeune !"

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