Un poète migrateur : Lionel-Edouard Martin
Renouer le contact avec ces pages, pour un trop long temps délaissées, grâce à ce texte poétique glané sur le site d'Angèle Paoli Terre de femmes...
L'auteur ? un écrivain migrateur, Lionel-Edouard Martin. Poitevin d'origine, après de longs séjours à l'étranger : Maroc (1981 – 1992), Allemagne (1993 – 1998), il a choisi de poser ses valises en Martinique, sa dernièrere escale (depuis 1998)
A propos d'un de ses recueils intitulé "Dire migrateur", Jacques Josse écrit : « Si les récits de Lionel-Édouard Martin s’ancrent pleinement dans sa terre natale, en l’occurrence celle du Poitou, qu’il interroge, sillonne, revisite à travers la mémoire familiale, il n’en va pas de même avec ses poèmes qui captent les éléments furtifs d’un parcours bien plus volage.
Le périple, réellement « migrateur » et tout aussi personnel, s’affirme ici plus proche de l’air que de la terre. Témoins, ces multiples oiseaux qui accompagnent ses voyages du nord au sud et qui aident à passer, en un éclair, des Abords du blanc (en Bavière) à L’œil de la guêpe (à Trinidad) tout en donnant la Parole au mainate (en Martinique, où il vit) ou en esquissant un salut ensoleillé et tremblotant (« toujours à deux doigts de la chute ») aux Échassiers du peintre Reynald Joseph à Haïti.»
Que seraient les oiseaux sans les arbres pour se poser ? C'est dans les branches d'un Flamboyant de Martinique que le poète-oiseau a choisi de nicher. Là, il entend résonner une musique inattendue : la voix de ses aïeux, le parler des ancêtres de Saintonge venus, par-delà l'océan, pour l'inviter à entrer dans un étrange ballet sonore...
Le Flamboyant
Ta gousse ajoute au ciel, flamboyant, sa lune, au bout de ta maturité, boomerang, décrocheur, en haut des sèves, des vieux morts clignotant dans la nuit.
Crépitement de maracas : la brise attise une samba de morts, ô que j’entends, ma chasse galopine, les morts remontent, et c’est à la cime un bruit de crécelle,
Un parler de riz mâché, que l’air hésite à avaler ― celui qui meurt de faim garde aussi le manger longuement dans sa bouche, tâchant de tromper son ventre ―,
Ta gousse, flamboyant, samba de morts, dans l’alizé d’hivernage, et c’est cela qui laisse aux morts une parole qui dodine ― pompant la sève, mes morts, derrick de branches et de feuilles.
Et je vous reconnais, mes morts, la vieille langue en bouche, de Saintonge et Poitou, riz de rire, mes morts, qui libres de rivière et d’océan venez jusqu’ici me parler,
Parole de mes vieux, mes morts, dans la gousse agitée du flamboyant, venus jusqu’à la cime de cet arbre où des oiseaux parleurs contrefont votre parlure,
(Gallery torne, torne,
Emporté par sen sort,
Aquenit, triste et morne,
Gle demonde la mort)
Je leur entends parler la vieille langue, mon poitevin d’enfance et tous mes morts avec, menant la sarabande, et tout ce qui sur l’île
Bruit d’un rythme sec, escorte cette quête du vieux dire habité de brande, et vous mes morts, parleurs de dialectes sonores, et la clochette au cou des chèvres :
Leur pis balance entre les haies d’épines, des crins retenus aux buissons la mésange au redoux trame un chant d’existence.
Lionel-Édouard Martin, Avènement des ponts, Tarabuste Éditeur, Collection Doute B.A.T., 2012, pp. 30-31.