"Shame on you!" : un cri pour rompre le silence

Publié le par MiJak

Shame on youLundi dernier 6 juin, la comparution de DSK devant le tribunal de Manatthan aura été marquée surtout par la manifestation de plusieurs dizaines de femmes de chambre employées par les plus grands hôtels de la ville. Rassemblées à l’appel de leur syndicat, elles s’étaient donné rendez-vous pour lui réserver un accueil tonitruant. Des huées d’abord, et puis ce refrain poussé à gorges déployées : « Shame on you! » (« Honte à vous! »). Le spectacle de ces femmes, la plupart noires, en tenue de travail revêtues de leur blouse réglementaire, revendiquant leur droit au respect et à la dignité, ce spectacle, je dois l’avouer, m’a ému. Il m’est apparu dans la droite ligne de toutes les actions collectives - petites ou grandes – qui ont marqué le combat pour les droits civiques aux Etats-Unis.

 


couleur-des-sentimentsEtrange coïncidence, l’affaire DSK a démarré peu de jours après que j’ai terminé la lecture du livre de Kathryn Stockett : « La couleur des sentiments » (éd. Jacqueline Chambond, 2010). Sur la couverture de la version française, on y voit deux « bonnes » noires en tenue  de travail, blouse bleue ou verte et tablier blanc, entourant la poussette où se tient un bébé blanc. Le roman dans sa version américaine s’intitule « Les bonnes » (The Help). Apparemment ce livre a eu un succès inattendu aux Etats-Unis où il s’est vendu à près de 2 millions d’exemplaires.

Certes ce roman n’a pas la prétention de rivaliser avec Faulkner, ni avec Toni Morisson, mais c’est un livre touchant, bien écrit, à la fois drôle et grave, contant les aventures mêlées de deux bonnes noires et d’une jeune bourgeoise blanche, en 1962, dans une petite ville du Mississipi
aux couleurs de l’apartheid et des lois raciales.Ces trois femmes vont oser se lier d'amitié et essayer de changer les choses en écrivant leur histoire.


The-Help.jpegLa première des bonnes noires, Aibileen, 53 ans, s’occupe du bébé d’une jeune femme de 23 ans. La deuxième, Minny, pour avoir eu la langue trop bien pendue, se fait renvoyer et cherche désespérément à retrouver un emploi. Quant à la jeune femme blanche, Miss Skeeter , elle aimerait devenir écrivain et s’efforce d’apprivoiser les deux premières dans le but d’ écrire un récit inédit et explosif : le témoignage de plusieurs bonnes.  Et c’est ainsi que ces trois femmes, unies de manière improbable vont, ensemble, faire vaciller leur entourage et la petite ville, en écrivant un livre, celui de leurs histoires et de leur envie secrète de changer le monde…  L’intérêt du livre est d’avoir choisi la juxtaposition des trois récits, en faisant parler à tour de rôle les trois personnages à la première personne. Du coup le lecteur est invité à entrer dans l’intimité de chacune, de pénétrer la couleur de ses sentiments. Il en ressort un ton qui ne cède jamais à l’amertume. Bien au contraire, les situations sont souvent cocasses, les sentiments laissent place à l’humour et à la dérision.
L’auteur, d’ailleurs, avait mesuré la difficulté de la tâche , puisqu’à la fin de l’ouvrage elle a rajouté un chapitre où elle exprime ses propres réserves sur la possibilité d’une riche blanche de se mettre dans la peau de bonnes noires. Elle y révèle en particulier la relation de tendresse qu’elle a connue avec Demetrie, la domestique noire qui l’a élevée dans son enfance.  Une tendresse qui ne pouvait se dire à cause de la séparation imposée par le racisme ambiant et le système ségrégationniste ; cette séparation sera malheureusement scellée par la mort de Demetrie , alors que l’auteur était encore adolescente.

«  Ce dont je suis certaine, c’est cela : je n’irai pas jusqu’à penser que je sais ce qu’on ressent quand on est une Noire dans le Mississipi, surtout dans les années 1960. Je ne pense pas que n’importe quelle Blanche qui verse un salaire à une noire pourra jamais réellement y comprendre quoi que ce soit. Mais tenter de comprendre est vital pour l’humanité. Il y a une phrase dans La couleur des sentiments à laquelle je tiens particulièrement :

« N’était ce pas le sujet du livre ? Amener les femmes à comprendre. Nous sommes simplement deux personnes. Il n’y a pas tant de choses qui nous séparent. Pas autant que je l’aurais cru. »

Je suis à peu près certaine de pouvoir dire qu’aucun membre de notre famille n’a jamais demandé à Demetrie ce qu’on ressentait quand on était une Noire travaillant pour une famille de Blancs dans le Mississipi. Il n’est jamais venu à l’idée d’aucun d’entre nous de lui poser cette question. C’était la vie de tous les jours. Ce n’était pas une chose sur laquelle les gens se sentaient obligés de s’interroger.

J’ai regretté, pendant bien des années, de ne pas avoir été assez âgée et assez  attentionnée pour poser cette question à Demetrie. J’avais seize ans à sa mort. J’ai passé des années à imaginer ce qu’aurait été sa réponse. Et c’est pour cela que j’ai écrit ce livre. »

 


Au fond, je me dis que le propos de ce livre n’est peut-être pas si éloigné ce ce qui se joue derrière l’affaire DSK et de ce que demandaient les femmes de chambre des grands hôtels de New-York, en manifestant lundi  dernier. Car il est étonnant qu’il ait fallu attendre autant de temps pour qu’on se préoccupe enfin de ce que pouvait ressentir une femme de chambre, confrontée aux désirs parfois ambigüs des clients masculins (et puissants) qu’elle est censée servir. Autant de temps pour  que, chez nous en France, on commence enfin à rompre le silence et à s’interroger sur les rapports qu’entretiennent un certain nombre d’hommes de pouvoir avec les femmes ; rompre le silence sur des pratiques et des comportements sexistes considérés jusqu’ici comme « naturels » et couvert par  « l’omertà ». Le dépôt de plainte de Nafissatou Diallo n’a peut-être pas la dimension symbolique du geste de Rosa Parks refusant de céder sa place à un passager blanc dans un autobus de Montgomery, il n’empêche. Cette femme a dépassé sa peur,   et par ce geste elle aura eu le mérite d’ébranler le système, de faire vaciller une injustice trop longtemps tue…

 

 

              
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