Roger Dextre : un murmure continué

Publié le par MiJak

La rivière s'est pour ainsi dire, dans un mouvement de temps dont les torsions et la fluidité échappent à la prise et au désir de trouver, substituée à l'espace ouvert entier et non entier, s'y est subrogée àcause du défaut et de l'incapacité de s'en tenir à l'essentiel et tout simplement de s'y tenir durablement.

A un temps instantané et éternel (la joie) elle a offert la solution du venir, du passage, de l'aller; à l'immense elle a donné une figure plus basse, un tracé mieux situé qui sépare et unit les pentes des prairies contigües qu'un regard surplombe. On ne peut même pas dire que ce soit pour quelqu'un de particulier, volubile ou muet.

 

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Et surtout au mutisme, à la stupéfaction et à l'exclamation, elle a insinué le propos du bruit, un murmure à peine articulé ni perçu dont la continuité, les éclats, de quasi silences, aussitôt démentis par la chanson plaisante, obstinée, riviéreuse de son cours, s'annoncent à l'oreille comme les contraires et les prémisses de la voix. Cette dernière, contrainte de commencer (d'avoir une intonation qui rompt, surprend, rugit, emporte) avant de poursuivre un dire, des phrases ininterrompues et reprises par le souffle, suit son décours jusqu'à une fin provisoire. Une halte. Entre deux mouvements de parler, l'un impossible, étranglé, l'autre tenté par un désir infondé et d'un empire inouï, une rivière fut la solution étrangère? Etrangère et quasiment hostile au vouloir en général et en particulier... Je me demande si je ne me suis pas déjà égaré. Ca sent la ferme et le hameau; il est trop tôt, ça réveille les chiens.

 

A travers

Roger DEXTRE, Entendements et autres poèmes. - La Rumeur libre, 2012, p.14-15

Publié dans Eclats de mots

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